Masterarbeit, 2015
72 Seiten, Note: Mention "Bien"
Préface
Introduction
1. Bref historique de l´écriture féminine en Afrique noire francophone
1.1. La marmite de Koka M´bala : Mythe ou réalité ?
1.2. Femmes et gestion de la cité de Koka M´bala
1.2.1 Les femmes sur les chemins de l´égalité
1.2.2 Tradition ou modernité ? Femmes et rebellions
1.2.3 La femme ou le socle de la famille : Lemba et le roi Bintsamou
1.2.4 Du face à face à Koka M´bala : les femmes et un nouveau terrain de combats
2. Une si longue lettre, les pesanteurs socioculturelles
2.1 Modou Fall et Ramatoulaye.
2.2 L´équilibre des rapports sociaux : Mawdo et Aïssatou
2.3 Rapport épouse versus belle-famille
2.4 Ramatoulaye et Aїssatou face à leurs enfants
2.5 La femme, une espèce à part
2.6 Une si longue lettre, de l´autobiographie ?
3. Défis de la modernité et perspectives
3.1 Les femmes face aux défis de la modernité : Lemba, Ramatoulaye et Aïssatou.
3.2 Le roi Bintsamou, le conseiller Bobolo versus Modou et Mawdo
3.3 Perspectives de La marmite de Koka M´bala et Une si longue lettre
Conclusion
Bibliographie
Avant-propos
Ces recherches de Master et plus précisément ce travail sur les femmes est un projet de longue date. En effet, pendant mes recherches de Maîtrise sur l´auteur allemand Heinrich von Kleist à l´Université d´Abomey-Calavi/Bénin, j´ai fait la rencontre d´un texte où les femmes jouent un rôle de premier plan. Elles sont présentées sous deux grands angles : Elles servent aux côtés de leurs maris en revendiquant les droits de ceux-ci et en même temps leurs propres droits. Dans cette optique, elles se vengent cruellement et d´une manière inhumaine de leurs anciens maîtres qui sont les colons français. Babekan en est un exemple. De l´autre côté, Toni, la fille de Babekan, ayant été jusque-là endoctrinée aussi dans les assassinats, se voit dépassée par les événements et rebrousse chemin. Elle défend alors les « ennemis » d´hier jusqu´au péril de sa vie.
J´ai abordé les rôles divers attribués aux personnages féminins dans ce texte, mais sous l´angle de la vengeance et de la violence. Les différents motifs qui justifient les actions de Babekan, son mari Congo Hoango et leur fille Toni sont commentés. Dans mes recherches et lectures, j´ai remarqué que les femmes jouent aussi un rôle prépondérant dans les œuvres africaines. Ces rôles se limitent pour la plupart des cas à la revendication de leurs droits, ceux de leurs enfants et de leurs maris. Leur vaillance est motivée par les traitements et les brimades qui leur sont faits. Les femmes partent ainsi à la recherche de leur liberté embrigadée par la tradition ; tradition instaurée par les hommes et les pratiques séculaires.
Ce constat de lecture me pousse à aller plus à la découverte de la littérature africaine où les femmes sont dépeintes. Mon choix se porte ainsi sur Une si longue lettre de Mariama Bâ et La marmite de Koka M´bala [1] de Guy Menga. Mariama Bâ fait partie de la première génération de femmes écrivains en Afrique et peint la femme telle vue par la tradition et Guy Menga est connu pour ses écrits mettant en relief les conflits de générations où la femme intervient comme dernière lueur d´espoir. Le choix de ces deux auteurs se justifie aussi par le fait que ces deux écrivains portent un regard presque identique sur la tradition, tentent de sortir la femme de sa torpeur et se consacrent à une écriture d´engagement, ce qui leur vaut cette grande représentativité.
Il s´agit de mettre en évidence la manière dont la littérature peut servir de médium dans les pourparlers et dans un monde sujet aux violences, en particulier dans la représentation de femmes qui ont voix au chapitre et apportent leur contribution au règlement pacifique des conflits. En cela, la littérature impliquée peut proposer et apporter des stratégies non-violentes dans l´arbitrage des différends.
Ce travail ne saurait être une réalité sans le concours de l´Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) qui m´accorda une allocation afin de valider mon inscription. À ma directrice de mémoire Professeur Catherine Milkovitch-Rioux, je témoigne ma profonde gratitude pour sa direction exemplaire. Ses différents conseils me sont d´un appui inestimable. Ma haute déférence va aussi à l´endroit de tous les professeurs du Master2, option Littératures et Idées poétiques de l´Université Blaise Pascal. Je reconnais aussi le soutien sans faille de ma femme Daria Dolorès Akpla et notre garçon Ekué Mael Adama.
Au 19e siècle, lorsque la lutte pour l´égalité des droits entre homme et femme s´intensifie, l´image traditionnelle[2] de la femme commence à se modifier. Depuis le mouvement des femmes dans les années 60 aux USA et 70 dans les pays occidentaux, le féminisme a pris son envol.[3] Dès lors, les stéréotypes sur la femme dans le domaine de l´éducation, de la formation, son exclusion de la vie politique et ses charges familiales ont été mis en cause.
La littérature féminine africaine, plus précisément d´expression française est bien jeune, car elle n´a que l´âge des Indépendances des pays africains francophones, lesquels, pour la plupart, accèdent à cette souveraineté dans les années 1960. Toutefois, en 1956, on peut remarquer déjà que Marie-Claire Matip publie N´gonda. Ladite littérature n´est pas restée en marge des différents mouvements politiques et sociaux. À partir des années 1970, le continent noir connaît une éclosion d´écrivains femmes sous la plume desquelles on pourrait lire différents sujets dépeignant non seulement la condition de la femme, mais aussi décrivant les différents bouleversements sociaux d´après les Indépendances. Au nombre de ces femmes écrivains, nous pouvons citer Ken Bugul (Le baobab fou), Calixte Beyala (Seul le diable le savait), Aminata Sow Fall (Le Jujubier du patriarche), Werewere Liking (L´amour-cent-vies). Aussi différentes les unes que les autres, les formes d´écriture, de style, de thèmes abordés relatent les faits sociaux avec acuité.
Au nombre de ces écrivains femmes qui, partant souvent de leurs diverses expériences au foyer, prennent la parole et décrivent leur propre vie, s´illustre de si fort belle manière Mariama Bâ. Née en 1929 au Sénégal et élevée dans un milieu musulman traditionnel, son roman épistolaire Une si longue lettre l´a propulsée au-delà des frontières africaines en traitant d´un style aigre-doux la condition de la femme. Dans cette œuvre, Mariama Bâ pointe la polygamie, dénonce la forte dominance des hommes, les sujets cruciaux qu´attaque le mouvement des femmes des années 70. Au-delà de la femme, c´est la société qui est peinte avec ses problèmes récurrents.
Avant l´entrée en lice des femmes en littérature, ce sont les hommes qui écrivaient de et sur la femme, traitant ce sujet sous divers angles – parfois aussi avec beaucoup de préjugés. Le regard s´est sensiblement infléchi grâce à l´écriture féminine. L´œuvre de Guy Menga La marmite de Koka M´Bala traite le sujet des pesanteurs socioculturelles, le conflit de génération et la question de la peine capitale. Guy Menga est originaire du Bas-Congo. Il est né en 1935. Il met la femme en valeur dans cette pièce. La reine Lemba déjoue tous les plans de cette société patriarcale tout en constituant un réservoir de savoir et de sagesse pour son mari roi. C´est ainsi que de par son intervention, la peine capitale est abolie.
Les deux œuvres évoquées dans ce mémoire traitent des sujets très similaires et sont parues à une période de grande ferveur du féminisme : La marmite de Koka M´bala (1976) et Une si longue lettre (1979). Ces deux œuvres sont une dénonciation de la société patriarcale et des obstacles pour l´essor de la femme. Elles constituent une illustration de la vie des femmes d´hier et d´aujourd´hui.
Cette étude se fixe comme objectif de traiter la représentation des femmes dans ces deux œuvres. Dans l´une comme dans l´autre, les femmes s´illustrent par leur bravoure, défiant parfois l´autorité masculine. L´héroïsme et la vaillance des femmes forcent un nouveau positionnement social à l´égard de celles-ci. L´objectif est donc de montrer comment elles dénouent des situations inextricables[4], prouvant ainsi aux hommes leur capacité sociale, ou comment elles subissent le « diktat » de ceux-ci.[5] La plus surprenante de ces femmes est la reine Lemba, représentée dans La marmite de Koka M´bala. Elle intervient énergiquement et fait abolir la peine capitale dans le royaume. Vu sous cet angle, le travail étudiera aussi l´attitude de la femme en temps de crise.
Pour conduire cette étude, nous aurons recours à la critique thématique, et la critique de l´imaginaire utilisée par Gaston Bachelard[6] sans méconnaître les apports de la psychanalyse, de la phénoménologie de la théorie féministe Queer née dans les années 80 et défendue par Judith Butler. La théorie Queer [7] postule que la femme trouve sa place dans la société ou plutôt égale l´homme grâce à ses performances car, défend-elle, l´identité d´une personne n´est pas constituée à l´aune de sa nature, mais de ses faits sociaux. À travers cette étude, nous montrerons comment les femmes représentées dans les fictions s´illustrent par leurs performances sociales et se défont de l´ancienne image de la femme au foyer.
Pour ce faire, notre approche repose sur une première analyse immanente des œuvres du corpus qui nous servira de soubassement pour ouvrir notre horizon à une consultation contextuelle des œuvres critiques traitant la femme en vue de vérifier nos hypothèses. Sous cet angle, les réflexions de Judith Butler ainsi que la théorie Queer nous seront d´un grand appui, puisque celles-ci se trouvent en rapport étroit avec l´objectif principal de la présente étude. Les œuvres de Simone de Beauvoir et celles donnant matière à réflexion sur le sujet seront mises aussi à contribution.
Les contours de l´écriture féminine, c´est-à-dire les œuvres écrites par les femmes écrivains africaines ne se dessinent que vers les années 70. On note toutefois un engouement pour le rôle de la femme dans la littérature avant cette date. Si déjà en 1956, Marie-Claire Matip publie N´gonda, il faut une vingtaine d´années pour qu´éclosent d´autres ouvrages rédigés par des femmes. D’Aminata Sow Fall[8] en passant par Werewere Liking, Ken Bugul, Calixte Beyala, Anne-Marie Adiaffi, Véronique Tadjo ou Mariama Bâ, des œuvres variées relatent – pour la plupart – la condition de la femme.
Si en 1984, Jacques Chevrier[9] ne faisait cas d´aucune romancière africaine, c´est parce qu´il jugeait l´écriture féminine africaine encore à l´étape embryonnaire. Cette écriture qui, certes existait déjà, était alors vouée à la description des avatars sociaux. Christel Assaad évoque les phases de cette évolution:
Il faut attendre les années 1970 pour que se crée et se développe un espace littéraire strictement féminin en Afrique et en particulier au Sénégal, mais cela ne signifie pas que les femmes ne font pas entendre leurs voix auparavant.[10]
Si les femmes africaines ont du mal à entrer en littérature et plus précisément en écriture (littérature écrite), cela est lié sans doute à leur tardive scolarisation. En effet, l´Afrique étant en grande majorité sous l´influence du patriarcat, les femmes ont eu du mal à aller à l´école quand celle-ci fut introduite par le colonisateur.[11] Il faut donc tirer un parallèle entre l´instruction des filles en Afrique et leur entrée en écriture.
C´est à Beverley Ormerod et Jean-Marie Volet que le mérite revient de faire un inventaire détaillé des femmes écrivains francophones d´expression française.[12] 53 au total à la date de la réalisation de cet ouvrage, où on peut lire leur biographie et avoir un aperçu global de la littérature féminine.
Dans la même perspective, l´auteur béninois Adrien Huannou[13] rédige l´ Anthologie de la littérature féminine d’Afrique noire. Il y mentionne, avec des extraits de textes, des auteurs femmes africaines d´expression francophone. On peut également trouver en conclusion de son ouvrage mention de la manière dont les hommes abordent le thème de la femme dans leurs œuvres. Tandis que les femmes sont préoccupées, selon lui, par ce qu’il y a d’inacceptable[14] dans le traitement qu´on leur fait subir et la nécessité de se libérer du joug masculin, les hommes, dans leurs écrits, se limitent à une simple description de la condition de la femme. Adrien Huannou, se concentrant sur les œuvres des femmes, fait ainsi des luttes féminines une affaire exclusive des femmes, ce qui, eu égard à notre corpus et précisément aux écrits de Guy Menga[15], n´est pas vérifié.
Rappelons que bien avant que le mouvement féministe ne prenne son envol dans les années 70, c´étaient des hommes qui – parfois avec des positions mitigées – traitaient du sujet de la femme. Pendant que d´aucuns font l´apologie de la femme en la vantant sous différentes facettes, d´autres s´attardent sur son malheur. Dans Les nouveaux contes d´Amadou Koumba par exemple, la femme est considérée comme celle qui fait sa demeure, ses enfants et son mari.[16] Ce rôle lui décerne même la place de mère pour son partenaire. Si la femme est ainsi magnifiée chez Birago Diop, le même discours se retrouve chez Senghor[17] et Camara Laye.[18] Chez Chinua Achebé en revanche, l´accent est mis sur les brimades faites à la femme. L´auteur argumente et s´en prend même aux femmes :
Les femmes sont de toute évidence le groupe d´opprimés le plus important de la terre et, si nous en croyons le Livre de la Genèse, le plus ancien. Mais ce n´est pas le seul. La difficulté pratique la plus évidente, c´est l´amplitude, l´hétérogénéité du problème. Il n´y a pas de bloc universel des opprimés.[19]
L´auteur constate en fin de réflexion que les femmes ne constituent pas un bloc unique fort pouvant défendre leur cause. Chez Chinua Achebé, on est même en passe de se demander si le problème est réellement pensé, car l´amplitude que le phénomène prend ne présage d´aucun bel avenir.
Le grand mérite revient à Pierrette Herzberger-Fofana dont l´ouvrage sur La littérature féminine d´Afrique noire suivi d´un dictionnaire sur les romancières est d´une importance capitale. Cet ouvrage dresse un répertoire détaillé des écrivains femmes depuis les indépendances jusqu´en 2000 après s´être penché sur la situation de l´écriture féminine. Si l´émergence des écrivains femmes africaines n´est constatée que dans les années 70, leurs œuvres à l´époque – pour la plupart des cas – n´ont servi que de medium pour exprimer leurs souffrances et opinions sur divers sujets sociaux. C´est ainsi que la plupart de ces œuvres sont de tendance autobiographique et peignent spécifiquement la vie quotidienne et familiale. En les lisant, on se rend compte de l´importance capitale qu´accordent ces femmes à la famille.
Les années 80 constituent une période de changement d´orientation. La trame des récits d´écrivains femmes est alors empreinte des thèmes comme la colonisation, la vie politique. Sont aussi abordés des sujets touchant directement à la condition des femmes comme l´éducation, la lutte pour l´égalité, leur autonomie financière - ce qui implique le travail - et les stratégies de lutte pour la défense de leurs intérêts.
Dans son ouvrage qui loue les mérites de la femme et la porte au pinacle, Aminata Sow Fall affirme justement : « l´équilibre de notre monde repose sur les épaules de la femme, du marabout et du griot. S´ils révélaient tous les secrets qu´ils détiennent, le monde éclaterait ».[20] Ces propos sont ceux qui revendiquent un repositionnement social, la femme occupant une position importante dans la société, alors même qu´elle est brimée.
Les femmes venues à l´écriture vers les années 80 font partie de « l´intelligentsia féminine africaine ». Elles impriment un souffle nouveau aux idées toujours abordées dans les œuvres féminines. Ces œuvres ne se limitent plus au « déjà-vu », comme dans un passé récent, mais s´ouvrent sur des réalités sociales, politiques et économiques de leur temps et sont encore plus esthétiquement travaillées. L´émancipation souhaitée de ces femmes écrivains et le rôle dévolu aux personnages féminins rejoignent l´idée principale de performativité du genre prônée par Judith Butler.[21] Les femmes n´acceptent plus d´être brimées.[22] Ainsi, leurs œuvres deviennent un tremplin pour transformer la réalité dans laquelle elles vivent.[23] Odile Cazenave n´hésite pas à parler d´un « nouveau roman féminin ».[24]
Cette nouvelle tendance des femmes écrivains[25] pousse les critiques à analyser souvent leurs œuvres sous un angle de rébellion, car les femmes ont été de tout temps soumises à l´homme. Le titre Trouble dans le genre de Judith Butler est assez évocateur.
Nous avons vu au travers de ce parcours littéraire comment le féminisme africain est né et a évolué. Nous abordons à présent l´étude des œuvres du corpus.
Considérant que toute œuvre[26] est avant tout de la fiction, la question du mythe ou réalité dans La marmite de Koka M´bala ne mérite pas en réalité d´être posée. Cette interrogation se rapporte, en effet, beaucoup plus à la trame de l´histoire, au caractère « objectif » du lieu de déroulement[27] du récit.
Même si les romans dits « réalistes » et les autobiographies sont aussi classés dans la catégorie des fictions, nous ressortirons toutefois dans ce sous-titre quelques éléments qui démontrent que l´auteur s´est inspiré dans une très large mesure de la réalité pour élaborer sa fiction. Il convient cependant de souligner qu´il n´est pas facile de distinguer le réel du fictif vu le caractère « flou » de la frontière entre les deux.
La métaphore de Stendhal comparant le roman au miroir[28] ne peut en aucun cas exclure le caractère imaginaire du roman. Selon Yves Reuter, la fiction peut se comprendre comme L’histoire et le monde construits par le texte et n’existant que par les mots, ses phrases, son organisation, etc., et le référent, c’est-à-dire le « hors texte » : le monde réel (ou imaginaire) et nos catégories de saisie du monde qui existent en dehors du récit singulier mais auxquels celui-ci renvoie.[29]
Si la fiction ou l´imaginaire nourrit la réalité pour produire l´œuvre, l´auteur s´appuie à cet effet sur des faits réels et des personnages de la vie courante. Sans l´imagination, la narration devient alors un discours ou un rapport. De même, sans la peinture de la réalité, l´auteur produit de l´utopie, un monde imaginaire et impensable, donc impossible.
La marmite de Koka M´bala, bien qu´étant une pièce de théâtre, ne se soustrait pas à ces traits caractéristiques. La différence nette qui se dégage entre le roman ou la nouvelle et une pièce de théâtre réside dans la longueur et principalement dans le personnage. Originellement, le théâtre est joué devant un public, donc ce sont des personnes physiques qui agissent. Dans la nouvelle ou le roman, des personnages fictifs peuvent agir, ce qui se passe aussi dans une pièce de théâtre écrite.
Dans cette œuvre du corpus, des faits et propos renvoient le lecteur à la réalité, laquelle a comme source le Bas-Congo. L´incipit de l´œuvre est illustrative : « l´action se déroule dans un des petits royaumes qui morcelaient le Kongo. »[30] L´auteur, par cette affirmation, oriente déjà le regard du lecteur sur ce qui va être lu. Certes, il ne nomme pas le royaume où la scène se déroule, mais cite le pays ou la région au sens plus large. Ce trait caractéristique consistant à ne pas parler nommément est une stratégie pouvant pousser le lecteur à l´imagination et à des analyses. Les pistes que l´auteur donne et qui peuvent conduire le lecteur à décoder facilement son message sont tels que le lecteur pense se retrouver devant le théâtre ou devant la réalité. Au-delà de la capitale (Koka M´bala) de ce royaume qui est dévoilée, on peut lire ce passage évocateur :
A Koka M´bala, cette loi frappait surtout les jeunes tandis qu´elle était clémente pour les adultes. Ces jeunes, pour des délits parfois moindres, étaient condamnés à être enterrés vivants sur la place du marché, dans une fosse hérissée de sagaies. Sur la tombe de ces criminels, on plantait un jeune arbre du nom de « N´sanda ». On voit encore de nos jours, dans le sud du Congo, quelques « N´sanda » solitaires parmi les arbres de la brousse. (p. 6)
Les différentes affirmations comme « on voit encore de nos jours […] » témoignent du caractère vraisemblable du récit. La contemporanéité du récit et surtout la présence des « N´sanda » dont parle l´auteur dénote cette plausibilité.
Dans un monde où des situations conflictuelles et des tensions sociales montent en flèche sans cesse, il faudra alors trouver des solutions pour contrecarrer ces dernières. Pour Guy Menga, la tradition est une bonne transition et un bon réservoir de savoirs où nichent des sources intarissables de sagesse. Cette tradition occupe donc chez Guy Menga une place importante où les bonnes mœurs, le respect de la personne humaine entre autres peuvent être appris.
Au-delà de ces traits caractéristiques d´une œuvre non fictionnelle, c´est surtout les thèmes abordés qui dénotent le caractère objectif de l´œuvre. L´auteur peint ici le conflit des générations. Les vieux ne supportent plus les jeunes, car disent-ils, ils ont perdu le sens du respect du droit d´aînesse. Ils n´ont plus d´égard pour la tradition. Pour ce faire, il faut se montrer plus intransigeant envers eux. Les lois et règlements sont alors introduits.
Dans la cité de Koka M´bala, capitale de ce royaume, les lois étaient rigides et les juges impitoyables. […] A Koka M´bala, cette loi frappait surtout les jeunes tandis qu´elle était clémente pour les adultes. Ces jeunes, pour des délits parfois moindres, étaient condamnés […]. (p. 6)
Les deux générations qui s´affrontent dans cette œuvre ont certainement des points de vue différents. Pour les adultes, il faut conserver la tradition car regorgeant de sagesse et de vertus pour l´homme. Dans cette tradition, l´homme peut puiser de bonnes ressources pour faire face aux difficultés futures.
La deuxième tendance qui se dessine est celle des jeunes gens. Selon ces derniers, il faut une nouvelle ère et un nouvel ordre social. Ils jugent la tradition trop désuète, archaïque et en retard sur le monde, donc ne répondant plus aux exigences de l´heure. Les lois de la tradition vues comme rétrogrades annihilent l´essor de l´individu. Mariama Bâ nous instruit à cet effet : « Notre société actuelle est ébranlée dans ses assises les plus profondes, tiraillée entre l´attrait des vices importés et la résistance farouche des vertus anciennes. »[31] Guy Menga peint déjà en cette période-là le conflit des cultures et des générations avec en toile de fond la participation des femmes pour dénouer la crise. Après les Indépendances des Etats africains dans les années 60, ces crises constituent l´un des problèmes sociaux.
Si dans la création des personnages et l´attribution des rôles, l´auteur semble accorder une importante place au personnage féminin et aux jeunes gens, une place « moins » cruciale au personnage du premier conseiller du roi et une peinture moins brillante du roi qui ne se montre pas très sûr de lui-même, c´est à juste titre. Guy Menga est beaucoup plus porté vers la modernité que la tradition. Il est cependant bien conscient de la richesse culturelle de la tradition, d´où il puise ses grandes idées. Son œuvre se situe, dès lors, dans la confluence de ces deux références.
L´exagération éventuelle de l´auteur dans les qualités attribuées à la reine Lemba peut se comprendre comme une invite à la société et surtout à la femme à participer au débat politique et la gestion de la cité. Guy Menga associe ainsi aux deux premières composantes de la société que constituent les adultes (vieux) et les jeunes, les femmes, le maillon manquant. Ainsi, on obtient une représentation complète du royaume dans son œuvre. Cette représentation est à l´image d´une assemblée nationale d´un pays où tous les âges, toutes les couches sociales et régions sont représentés.
L’attribution du rôle de premier plan qu´accorde l´auteur à la reine Lemba paraît bien logique. En effet, elle est bien guidée par l´instinct de mère (maternité) et par-delà, la féminité. En observant de près ses qualités, on s´aperçoit que ces qualités font d´elles un personnage moins réel. Edith Wharton analyse cette répartition usuelle des rôles:
Dans tous les genres de romans, les personnages principaux sont souvent les moins réels. Cela peut en partie s’expliquer par le fait que ces personnages, descendants des « héros » et « héroïnes » d’autrefois, dont le rôle était de paraître, non pas réels, mais sublimes, sont encore, même si parfois leur auteur n’en a pas conscience, les porte-parole de ses idées ou les incarnations de ses tendances secrètes.[32]
Le fait que la reine s´invite, avec parfois autorisation de son mari roi, dans le débat engageant l´avenir du royaume, semble bien être un fait utopique. Alors que des sujets défient ouvertement leur chef, ce comportement n´est pas à espérer d´une femme dans ce contexte, surtout avec l´image de la femme à cette époque. Cette qualité que l´auteur attribue à la femme la soustrait, si on observe les rapports hommes - femmes d´alors, au joug masculin et confère un aspect utopique à l´œuvre. Ces rapports ne peuvent s´observer dans l´Afrique d´alors, surtout avec la position de la reine, laquelle est censée incarner le respect dans le royaume. Le lecteur est étonné devant une reine réagissant ainsi : « mon roi peut-il oublier un instant que je ne suis qu´une pauvre femme et me faire part de ce problème grave ? » (p. 8.).
La reine Lemba se fait humble devant son mari et considère – en début de scène – sa position comme « simple » citoyenne. Le qualificatif « pauvre » dont elle fait usage témoigne largement de l´image qu´elle se donne. Et si cela dénotait une humilité de la part de la reine, ce serait alors une humilité « exagérée ».
Le rôle attribué aux hommes dans l´œuvre et surtout celui du premier conseiller et grand féticheur du royaume paraît être une dénonciation de l´auteur en ce qui concerne l´entourage des chefs. En effet, la marmite introduite par le premier conseiller du roi consistait à dissuader et punir les jeunes de mort afin d´instaurer leur grande hégémonie.
On note, outre les différentes actions et rôles reflétant le Congo d´après les indépendances, le nom que l´auteur donne à ces différents personnages. En effet, les quatre premiers personnages de la pièce sont des noms propres, lesquels, en observant la formation des noms indigènes de la société congolaise selon l´approche onomastique, seraient très proches de la réalité. Au travers de ces personnages et leur nom, le lecteur congolais s´identifie. L´entrée en scène des autres figures anonymes serait une stratégie de l´auteur pouvant permettre au lecteur d´imaginer possiblement les noms qui s´y cachent. Ces noms propres des personnages, la description avec exactitude des évènements, le lieu de la scène et le comportement des figures poussent le lecteur à se croire témoin de la scène. Tous ces détails confèrent peu ou prou un caractère réaliste à la pièce.
Dans son œuvre Les termitières de la savane, Chinua Achebe décrit avec exactitude l´attitude que doit avoir l´écrivain afin de peindre la société, mais aussi et surtout pour lui plaire. Il écrit à ce sujet : « Un romancier doit écouter ses personnages qui, après tout, sont créés pour porter le bât et indiquer à l´écrivain où il blesse ».[33] C´est ainsi qu´un auteur produit une belle œuvre en s´écoutant et se mettant au service de son personnage. Chez Guy Menga, on remarque la présence de deux catégories de personnages : ceux qui luttent pour la réintroduction et l´instauration des anciennes valeurs naguère conspuées. D´autres par contre découvrent mieux les traditions et ses insuffisances, luttant dans ce sens pour se défaire d´elles et instaurer un nouvel ordre social basé sur la justice et l´équité. Guy Menga s´investit de cette mission dont parle Senghor :
Les intellectuels ont mission de restaurer les valeurs noires dans leur vérité et leur excellence, d´éveiller leur peuple au goût du pain et des jeux de l´esprit, par quoi, nous sommes hommes.[34]
Si les missions premières du roman ou de toute œuvre sont de plaire, d´émouvoir et d´enseigner, Guy Menga a réussi cette mission et dépassé les rôles traditionnels d´un écrivain, ce qui, à n´en point douter, l´a propulsé au-delà des frontières congolaises. La marmite de Koka M´bala sublime par-dessus tous les acteurs la femme en la portant au pinacle. Cette pièce aborde des faits sociaux et l´injustice séculaire ayant toujours régné à Koka M´bala.
Nous abordons à présent l´étude des personnages de La marmite de Koka M´bala.
Il est question du rapport entre la reine Lemba et le royaume de Koka M´bala où la reine joue un rôle majeur.
La reine Lemba est l´une des rares femmes que le destin a pu placer en si haut point dans le royaume. Elle est la femme du roi, lequel a le droit de vie et de mort sur ses sujets. Pour ce faire, la reine possède aussi une position privilégiée dans le royaume. Le roi n´hésite pas à lui accorder le respect, l´honneur et l´amour dus à son rang: « Tu es ma femme préférée, Lemba. Tu as droit à toutes mes confidences » (p. 8).
Cette place de choix échue à Lemba et cette confiance du roi lui confèrent un certain privilège qu´aucune autre femme du royaume ne peut prétendre avoir. C´est d´ailleurs cette place de choix qui lui permet d´assister parfois au conseil et de se mêler aux affaires du royaume comme celles engageant le premier conseiller du roi et féticheur du royaume.
Selon la disposition des personnages établie par l´auteur dans l´incipit de l´œuvre, on remarque que la reine Lemba est en deuxième position. Elle est donc l´unique femme ayant pris part au conseil sans y être toutefois invitée. C´est donc un fruit du hasard d´assister à la scène car elle discutait avec son mari pendant les heures de divertissement de celui-ci quand la nouvelle arriva. Au-delà de la reine, nous pouvons faire aussi cas de la veuve qui joue le rôle de témoin. En effet, elle joue un rôle de second plan, lequel est aux antipodes de celui de la reine. Son rôle consiste en réalité à enfoncer le jeune Bitala considéré comme ayant levé les yeux sur la femme du premier conseiller. La reine Lemba, grâce à sa position de privilégiée dans le royaume, n´hésite pas à manier rudement le premier conseiller du roi, Bobolo :
J´en conviens, mais il est peut-être temps que nous nous en mêlions. Cet enfant dont tu souhaites la condamnation immédiate, ne sort-il pas des entrailles d´une mère ? Et tous ceux que ta cupidité a déjà envoyés à la fosse n´ont-ils pas été enfantés par des mères ? Et toi-même Bobolo, serais-tu venu d´un tronc de palétuvier ? Alors c´est nous qui souffrons pour donner ces enfants et c´est vous qui en disposer à votre aise ? (p. 11)
Ces propos de Lemba sont perçus par Bobolo comme une injure à sa personne. Vu la place qu´occupe Bobolo dans Koka M´bala, une femme qui lui parle ainsi est pendable. Mais Lemba y est arrivée. Le zèle de Lemba lui vient de sa conscience et de l´instinct de mère. En effet, Lemba est dérangée dans sa conscience du fait que les jeunes gens, et parfois des innocents, sont sacrifiés.
La reine Lemba, par ces propos, indexe non seulement Bobolo mais s´adresse à tout homme politique ou à tout décideur de toutes instances décisionnelles. Elle dénonce ici la sévérité de Bobolo, sa cupidité et essaie de toucher ce qu´il y a d´humain en lui. Dans Les nouveaux contes d´Amadou Koumba, on n´est pas loin de lire la même idée. Birago Diop conçoit aussi que la femme fait ses enfants et les protège de tous vents. Il écrit : « C´est la femme qui fait sa demeure, et fait ou refait son mari, et qui fait ses enfants ».[35] Le fait que la reine Lemba soit dépassée par les évènements et les multiples morts et condamnations dans le royaume est de bon aloi. Bobolo ne peut vraiment réfuter la thèse de la reine Lemba du fait qu´elle dise que ce sont les femmes qui font les enfants. Si, en réalité, un enfant est le fruit de l´homme et de la femme, il convient de dire que la femme se dépense plus généralement un peu plus pour les enfants que l´homme.
Selon les propos instructifs et pleins de sagesse de la reine Lemba à l´endroit de Bobolo, il est sans doute à remarquer que les mêmes reproches avec la même véhémence seraient faits au roi s´il s´avérait coupable. En fait, c´est parce que Lemba est dépassée par l´injustice qui règne dans le royaume qu´elle brise le silence. Elle se rend enfin compte de l´injustice séculière toujours faite aux jeunes gens de Koka M´bala. Si le jeune Bitala, comme le dit si bien le narrateur, est de retour après une longue période de bannissement du royaume, c´est parce qu´il a fugué devant la machine broyeuse que constitue la tradition ayant à sa tête Bobolo. La reine Lemba est donc dépassée par la fuite ou la condamnation à n´en point finir des jeunes de Koka M´bala. Elle ne s´est donc pas laissée brimer comme le reconnaît Camara Laye :
Chez nous, la coutume ressortit à une foncière indépendante, à une fierté innée, on ne brime que celui qui se laisse brimer, et les femmes se laissent très peu brimer.[36]
Si nous admettons que la reine Lemba ne se laisse pas du tout brimer ou intimider par Bobolo, il faut tout au moins reconnaître que devant le roi, elle fait allégeance. Ceci peut s´expliquer par le rapport « mari – femme » qui les lie ou la position du mari. En outre, la tradition stipule un respect absolu de la femme envers son mari. Ce n´est que le roi seul qui mérite ce respect de la reine Lemba. Le narrateur nous fait découvrir le degré de soumission de la reine vis-à-vis de son mari : « Seigneur, je voudrais embrasser tes pieds car ton comportement de tout à l´heure, vis-à-vis de moi, m´a fort surprise. Moi, une pauvre femme… (p. 12) ».
Dans les propos de la reine à son mari, un qualificatif revient très souvent : « pauvre ». Par cet emploi, la reine se montre plus humble devant sa majesté, et ipso facto devant son mari. On remarque même qu´à deux, cet emploi revient très souvent. On pourrait dire que ceci n´est qu´un signe de respect pour le statut du mari.
Mais si cet emploi ne se rapportait pas au statut du roi, mais au simple statut du mari, il y a alors abus d´autorité et crise de rapport entre le roi et Lemba d´une part et un complexe d´infériorité dans le monde de Lemba d´autre part. En effet, se peindre comme « pauvre femme » devant son mari en conseil de notables, de ministres peut bien se comprendre dans la mesure où Lemba se fait humble à l´instar de toute autre femme du village. Elle ne se distingue donc pas, malgré son statut de femme « préférée » de sa majesté, des autres femmes du village.
Mais le simple fait que Lemba se fait encore pauvre, même à deux avec son mari, surprend. On comprend par ici l´influence que le roi a sur elle. En effet, en conseil comme à deux, le roi demeure roi. Le considérer comme « majesté » devant ses sujets (notables, ministres, gardes) se comprend. Mais le traiter ensuite de « Majesté » ou se faire traiter de « pauvre femme » à deux serait donc compris comme cauteleux ou serait lié à la tradition.
Il conviendrait aussi de souligner que cet emploi de la reine, si cela ne dépendait pas de l´influence du roi sur elle, renvoie à l´obséquiosité. La reine Lemba montrerait ainsi à son mari roi sa soumission totale, son grand zèle et sa grande déférence afin d´être toujours la « préférée » de ce dernier. Il y a donc dans cet emploi de la flatterie. Voulant toujours être la « préférée » du roi parmi, il faut le dire, ses nombreuses femmes, exige des sacrifices, des manières de faire, du savoir-faire, de la sagesse, et aussi, pourquoi pas, de la beauté, même si celle-ci est relative. Lemba veut toujours garder la confiance du roi, car c´est après tout, un grand privilège d´être la femme de sa majesté et par-dessus tout sa « confidente ».
Chez Heinrich von Kleist,[37] le sujet est thématisé presque de la même façon. La jeune Toni, fille de Babekan, abhorrait depuis longtemps les horreurs commises contre les étrangers dans l´ancienne maison du chef Guillaume von Villeneuve ; les horreurs pour lesquelles elle est entraînée pour séduire les étrangers, et donc auxquelles elle prend part. L´auteur fait voir comment elle est théâtralement dressée pour séduire les étrangers :
« Toni, sprach sie : Toni ! » - Was gibts, Mutter ? « Geschwind ! » sprach sie. « Aufgestanden und dich angezogen ! Hier sind Kleider, weiße Wäsche und Strümpfe ! Ein Weißer, der verfolgt wird, ist vor der Tür und begehrt eingelassen zu werden!“ – Toni fragte: ein Weißer! Indem sie sich halb im Bett aufrichtete. Sie nahm die Kleider, welche die Alte in der Hand hielt, und sprach: ist er auch allein, Mutter? Und haben wir, wenn wir ihn einlassen, nichts zu befürchten? – „Nichts, nichts!“ versetzte die Alte, indem sie Licht anmachte: „ er ist ohne Waffen und allein […].[38]
On voit comment Babekan est en train d´endoctriner sa fille à jouer à une bonne actrice afin que l´étranger entre dans le labyrinthe que constitue la maison échue à Congo Hoango, mari de Babekan. Lorsque Gustav von der Ried demande à Toni des nouvelles sur la maison qui l´abrite, Toni le floue. Sur ce point, la position de Toni ressemble à celle de Lemba qui témoigne toujours un amour excessif et parfois « trompeur » à son mari. Mais lorsque Toni change d´opinion en décidant de ne plus collaborer avec sa mère et Congo Hoango, sa critique et son reproche à sa mère deviennent très acerbes. À ce sujet, le narrateur de Kleist écrit :
„Beim Lichte der Sonne!“, sagte die Tochter, indem sie wild aufstand, du hast sehr Unrecht, mich an diese Greueltaten zu erinnern! Die Unmenschlichkeiten, an denen ihr mich Teil zu nehmen zwingt, empörten längst mein innerstes Gefühl: und um mir Gottes Rache wegen alles, was vorgefallen, zu versöhnen, so schwöre ich dir, dass ich eher zehnfachen Todes sterben, als zugeben werde, dass diesem Jüngling, so lange er sich in unserem Hause befindet, auch nur ein Haar gekrümmt werde.“[39]
Toni est donc revenue à de meilleurs sentiments et reproche véhémentement à sa mère et Congo Hoango sa participation à ces meurtres. Lemba est dans la même posture face à Bobolo lorsqu´elle lui tient un discours parénétique. Il faut souligner que le narrateur de Kleist, pour récompenser la jeune Toni, lui décerne un satisfécit de « schöne Seele ».[40]
Si Kleist s´était inspiré de Goethe ou Schiller qui font déjà usage du concept au 18e siècle, on doit reconnaître, après lecture du texte Die Verlobung in St. Domingo que Toni mérite cette reconnaissance. Schiller essaie dans son ouvrage Über Anmut und Würde la définition suivante de l´expression.
Eine schöne Seele nennt man es, wenn sich das sittliche Gefühl aller Empfindungen des Menschen endlich bis zum Grad versichert hat, dass es dem Affekt die Leitung des Willens ohne Scheu überlassen darf […] In einer schönen Seele ist es also, wo Sinnlichkeit und Vernunft, Pflicht und Neigung harmonieren, und Grazie ist ihr Ausdruck in der Erscheinung.[41]
Guy Menga aurait lu Goethe, Schiller ou Kleist. Clairement, on voit qu´il s´approprie autrement le concept susmentionné desdits auteurs pour récompenser la reine Lemba vu son intervention déterminante. Par ailleurs, cette appropriation du concept se traduit au travers de l´adjectif « préférée ».
Considérant que Lemba a une attitude obséquieuse envers son mari, il est donc plausible de penser qu´intérieurement, elle le rend aussi responsable des atrocités, des condamnations prononcées dans le royaume contre les jeunes gens. Elle fait alors cette suggestion en douceur au roi : « Quelle réponse terrible et profonde, Majesté. Elle devrait t´inciter à un peu de clémence et même de prudence. (p. 9) »
Mais de peur de perdre sa place et son estime dans le royaume, Lemba se range du côté du roi et trouve le moment propice pour rendre Bobolo, le premier conseiller et inventeur de la marmite, responsable. Le personnage devient alors le bouc émissaire. Et même si Bobolo est le responsable immédiat des condamnations déjà prononcées dans Koka M´bala, le roi reste le garant de la paix, la quiétude et le protecteur de chaque citoyen du royaume. Son autorité est aussi à mettre en cause. Dans Doguicimi, Paul Hazoumé, l´auteur béninois, donne la leçon pour une gestion plus rationnelle du pouvoir :
Un roi doit protéger ceux de ses sujets dont les critiques, tel un miroir qui nous signale nos imperfections physiques, lui révèle ce qui est répréhensible dans son gouvernement. Nos ancêtres assurent avec raison que le monarque qui ne tolère pas de critique se montre en public avec des souillures sur ses vêtements.[42]
De ce point de vue, le roi de Koka M´bala n´est pas innocent dans les condamnations prononcées. Quant à la reine Lemba, elle se laisse brimer par le roi en voulant toujours garder sa confiance. Ainsi, elle n´explicite pas la part de responsabilité de son mari, premier garant de la paix dans la cité de Koka M´bala, mais rejette tout le tort sur Bobolo.
Nous avons remarqué à travers cette étude que la reine Lemba occupe une place importante dans le royaume de Koka M´bala ; place que lui accorde son mari, le roi. C´est donc à juste titre qu´elle en « abuse » pour dénoncer quelques dysfonctionnements notamment la peine capitale et l´acharnement contre les jeunes gens dudit royaume.
Mais pourquoi le roi accorde-t-il un tel privilège à Lemba ? Est-ce parce qu´elle est simplement sa femme ou, d´autres facteurs expliquent-ils cette confiance? Dans les lignes à suivre, il sera question des rapports entre Lemba et le roi.
[...]
[1] On distingue deux versions de la cité Koka M´bala : Koka M´bala et Koka Mbala. Nous utiliserons « Koka M´bala » dans ladite recherche pour être plus proche de la source étant donné que c´est la première version.
[2] Allusion faite aux rôles dévolus à la femme. Dans les contes des Frères Grimm par exemple, le rôle de la femme est exclusivement lié à la « fabrication » des enfants, à faire la cuisine pour la famille et enfin à aller à l´église.
[3] Cf. Natascha Würzbach, Feministische Forschung in Literaturwissenschaft und Volkskunde, Neue Fragestellungen und Probleme der Theoriebildung, In, Die Frau im Märchen, Édité par Sigrid Früh et Rainer Wehse, Roth, 1985, p. 192.
[4] La reine Lemba, chez Guy Menga, est celle qui sort du rang des femmes du royaume de Koka M´bala et défie royalement les hommes. Elle ne ménage même pas dans ses prises de positions son mari roi. Cf. Guy Menga, La marmite de Koka-Mbala suivie de L´Oracle, Yaoundé (Cameroun), édition CLE, 1976. Chez Mariama Bâ, c´est le personnage secondaire Aïssatou qui, abhorrant la polygamie, quitte son mari à cet effet et montre au lecteur sa capacité à faire face seule aux besoins des quatre enfants et à réussir socialement. Cf. Mariama Bâ, Une si longue lettre, Dakar, NEA, 1979. Sauf mention contraire, toutes les autres références issues des deux œuvres suivront le même modèle.
[5] Nous pensons ici au sort réservé au personnage principal d´ Une si longue lettre, Ramatoulaye. Vu sa position de première femme de Modou Fall, elle est contrainte à subir le veuvage et la charge de ses 12 enfants. Cf. Mariama Bâ, Une si longue lettre, op. cit.
[6] Gaston Bachelard, L’art et les mouvements et les songes. Essai sur l’imagination du mouvement, Paris, José Corti, 1943, 307 p. ; La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essai », 1949, 190 p.
[7] Judith Butler, La vie psychique du pouvoir, éd. Léo Scheer, Paris, 2002 ; Le Pouvoir des mots. Politique du performatif, Éditions Amsterdam, Paris, 2004 ; Trouble dans le genre, La Découverte, Paris, 2005 ; Défaire le genre, Éditions Amsterdam, Paris, 2006.
[8] Aminata Sow Fall, Le Revenant, Dakar, NEA, 1975.
[9] Jacques Chevrier, Littérature nègre, Paris, Hatier, 1984, p. 153.
[10] Christel Assaad, La femme entre tradition et modernité dans le roman Une si longue lettre de Mariama Bâ, kandidatuppsats, Linnéuniversitetet, Växjö, 2012, p. 3.
[11] Voir pour plus d´explication, Groupe «Afrique noire », Cahier n°11, L’histoire des femmes en Afrique, Paris, L’Harmattan, 1987.
[12] Beverley Ormerod et Jean-Marie Volet, Romancières africaines d’expression française : le sud du Sahara, Paris, L’Harmattan, 1994, 160 p.
[13] Adrien Huannou, Anthologie de la littérature féminine d’Afrique noire, Abidjan, Ed. Bognini, 1994, 350 p.
[14] Idem. p. 351.
[15] Guy Menga fait participer la femme au débat public dans le royaume de Koka M´bala. Le cas de la reine Lemba est révélateur. Bien avant lui, c´est Sembène Ousmane qui fait participer les femmes aux mouvements de grève au côté de leur mari. L´objectif était de défendre la cause de ses derniers. Cf. Sembène Ousmane, Les bouts de bois de Dieu, Paris, Presses Pocket, 1960, 379 p. Par-delà, en 1963, Seydou Badian défendait la cause des femmes en ces termes : « Libérons la femme si nous tenons à vivre. C´est la femme qui fait démarrer la société. C´est elle qui la fait progresser ». cf. Seydou Badian, Sous l´orage suivi de la Mort de Chaka, Paris, Présence Africaine, 1963, p. 60.
[16] Birago Diop, Les nouveaux contes d´Amadou Koumba, Paris, Présence Africaine, 1961, p. 138.
[17] Cf. Léopold Sédar Senghor, Préface aux Nouveaux contes d´Amadou Koumba (de Birago Diop), Paris, Présence Africaine, 1961.
[18] Cf. Camara laye, L´enfant noir, Paris, Plon, 1953.
[19] Chinua Achebé, Les termitières de la savane (Traduit de l´anglais), Paris, Pierre Belfond, 1990, p. 118 – 119.
[20] Aminata Sow Fall, Le jujubier du patriarche, Dakar, Koudhia/ CAEC, 1993, p. 115.
[21] Dans quelques-unes de ses œuvres phares comme Trouble dans le genre ou Défaire le genre, les idées remarquables de la performativité du genre sont esquissées. Judith Butler mesure la valeur du genre par sa performance sociale. Si les femmes par exemple revendiquent une position sociale plus méritée, il faut qu´elles le prouvent par leur performance. Cf. Judith Butler, Trouble dans le genre, La Découverte, Paris, 2005 ;
Défaire le genre, Éditions Amsterdam, Paris, 2006.
[22] Camara Laye écrit à ce sujet : « Chez nous, la coutume ressortit à une foncière indépendante, à une fierté innée, on ne brime que celui qui veut bien se laisser brimer, et les femmes se laissent très peu brimer ». Cf. Camara Laye, L´enfant noir, Paris, Plon, 1953, p. 84.
[23] Susan Arndt, The Dynamics Of African Feminism - Defining and Classifying African Feminist Literatures, Trenton, Africa World Press, Inc, 2002, 71.
[24] Odile Cazenave, Femmes rebelles. Naissance d’un nouveau roman au féminin, Paris, L’Harmattan, 1996, 349 p.
[25] On peut retenir que les femmes écrivains suivantes sont des avant-gardistes du féminisme africain : Calixte Beyala, Mariama Bâ, Aminata Sow Fall, Werewere Liking, Ken Bugul.
[26] À l´exception des discours, des reportages, mémoires…
[27] Le narrateur décrit la région du Congo comme cadre où se déroule la scène.
[28] Cf. Stendhal, Le Rouge et le Noir, Chronique du XIX siècle, Paris, Larousse, 2001, p. 86.
[29] Yves Reuter, Analyse du récit, Paris, Dunod, 1997, p. 11-12.
[30] Guy Menga, La marmite de Koka M´bala, op. cit., p. 6.
[31] Mariama Bâ, Une si longue lettre, op. cit., p. 106.
[32] Edith Wharton, Les Règles de la fiction, trad. Jean Pavans, Paris, Viviane Hamy, 2006, p. 114.
[33] Chinua Achebe, Les termitières de la savane, (traduit de l´anglais), Paris, Pierre Belfond, 1990, p. 116.
[34] Léopold Sédar Senghor, Liberté 1: Négritude et humanisme, Paris, Seuil, 1964, p. 19.
[35] Birago Diop, Les nouveaux contes d´Amadou Koumba, Paris, Présence Africaine, 1961, p. 138.
[36] Camara Laye, L´enfant noir, op. cit., p. 84.
[37] Heinrich von Kleist, Die Verlobung in St. Domingo. In: Heinrich von Kleists sämtliche Erzählungen und Briefe. Helmut Sembdner (Hg.), 5. vermehrte und revidierte Auflage, München, 1970.
[38] Id. p. 185- 186. Traduction : « Toni, dit-elle : Toni ! » Qu´y –t-il mère ? « Rapidement ! » dit-elle. « Réveille-toi et habille-toi ! Voici les habits, du linge blanc et des bas ! Un Blanc poursuivi est devant la porte et demande à entrer ! » - Tout en se mettant à moitié debout dans le lit, Toni demanda : un Blanc ? Elle prit les habits des mains de la vieille, et dit : mère, est-il seul ? Et n´avons-nous rien à craindre si nous le faisons entrer ? « Rien, rien ! » répliqua la mère en allumant la lampe : il est seul et sans arme […] Traduit par Kangnikoé Adama.
[39] Id. p. 203. Traduction : « Au grand jamais ! » dit la fille en se levant d´une manière déchaînée, tu es en grand tort de me rappeler toutes ces horreurs ! Les inhumanités auxquelles tu me contrains à prendre part m´écœurent depuis longtemps : et pour me concilier avec la vengeance de Dieu à cause de tout ce qui est arrivé, je te jure que je préfère mourir que de concéder qu´on touche à un seul cheveu de la tête de ce jeune homme aussi longtemps qu´il se trouverait dans cette maison. » Traduit par Kangnikoé Adama.
[40] „Schöne Seele veut dire belle âme “. Le narrateur, même si Toni rend l´âme à la fin suite à une mal-compréhension, lui reconnaît ses faits et gestes à l´endroit de l´étranger qui ne devrait pas mourir comme les autres. On peut lire : « […] und ihre Seele schon zu besseren Sternen entflohn“. Cf. Heinrich v. Kleist, Die Verlobung in St. Domingo, op. cit., P. 223. Traduction: [Et son âme s´envola vers de belles étoiles, traduit par Kangnikoé Adama].
[41] Friedrich, Schiller, Über Anmut und Würde, In : Schiller, Friedrich, Sämtliche Werke, hg. von G. Fricke und H. G. Göpfert, Bd.5 München, 1967, S. 468. Traduction: « On désigne par « belle âme » le sentiment moral qui s´assure finalement de toutes les sensations de l´homme jusqu´au degré où on peut confier la direction de la volonté à l´état émotionnel sans aucune crainte […] Dans une belle âme, il se fait donc que la sensualité et la raison, le devoir et la sympathie s´accordent, et la grâce se révèle être leur expression dans leur apparition ». Traduit par Kangnikoé Adama.
[42] Paul Hazoumé, Doguicimi, Paris, Larose, 1938, p. 221.
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